L’enseignement supérieur privé regroupe l’ensemble des établissements qui n’appartiennent pas aux pouvoirs publics (Etat et collectivités locales). Autrement dit, ces établissements appartiennent à des (groupes de) particuliers qui ne font pas partie des administrations publiques nationales ou locales. De nombreuses différences existent entre les établissements privés. La principale sépare les établissements à but lucratif, et les établissements à but non lucratif. En effet, une partie des établissements privés est à but lucratif. Pour le dire simplement, l’un des objectifs des établissements à but lucratif est de tirer un bénéfice de leurs activités en les revendant plus chères que ce qu’elles leur coûtent. De l’autre côté, les établissements privés à but non lucratif n’ont pas pour objectif la recherche de bénéfice et se concentrent sur d’autres objectifs. D’autres différences existent selon le domaine de formation des établissements (voir plus bas).
En France, dans le supérieur, 1 personne sur 4 est inscrite dans le privé
Cette note traite de la question du nombre d’étudiants et d’étudiantes inscrits dans les établissements privés en France, à partir des données rendues publiques, chaque année, par le Ministère de l’enseignement supérieur. Dans le monde, l’enseignement supérieur privé regroupe environ 66 millions d’étudiants et d’étudiantes, c’est-à-dire que, dans l’enseignement supérieur, une personne sur trois est inscrite dans l’enseignement supérieur privé (Levy, 2024). Les effectifs du privé sont en croissance, dans la plupart des pays, depuis le milieu du 20ème siècle. En France, 790 000 étudiantes et étudiants étaient inscrits dans le privé durant l’année universitaire 2023-2024. Aujourd’hui, dans l’enseignement supérieur français, plus d’une personne sur quatre est inscrite dans le privé, alors qu’en 1977, moins d’une personne sur 12 était dans cette situation. La part des personnes inscrites dans le privé dans l’ensemble des effectifs de l’enseignement supérieur a triplé en un demi-siècle.
En 1977, il n’y avait que 74 000 étudiants et étudiantes dans le privé. Il y en a, aujourd’hui, 10 fois plus qu’en 1977.
Depuis 2016, c’est surtout le privé qui a absorbé les hausses annuelles d’étudiants et d’étudiantes. Par exemple, en 2022, le Ministère comptait 33 000 étudiants et étudiantes en moins par rapport à l’année précédente dans les effectifs totaux et en comptait 30 000 de plus dans le privé.
Comment expliquer la hausse du privé depuis 1977 ?
En l’état, six hypothèses ont été exprimées pour expliquer cette hausse des effectifs dans le privé et la hausse de la part des effectifs du privé dans les effectifs totaux. La plupart de ces hypothèses ont été relevées par la dernière mission parlementaire sur l’enseignement supérieur à but lucratif (Commission des affaires culturelles et de l’éducation, 2024). On se contentera ici de les mentionner sans chercher à préciser dans quelle mesure elles sont confirmées ou non par les faits.
- L’enseignement supérieur public (principalement les universités) seraient incapables matériellement d’accueillir l’ensemble des personnes qui obtiennent le baccalauréat et qui souhaitent démarrer des études supérieures (Levy, 2024). Les personnes refusées dans le public seraient de plus en plus nombreuses et viendraient s’inscrire dans le privé.
- La hausse des effectifs et de la part du privé s’expliquerait par la présence de domaines de formation qui seraient proposés uniquement par les établissements privés (ibid). Ces deux premières hypothèses ont été formulées, à propos d’autres pays que la France, eux aussi, traversés par la croissance mondiale des effectifs du privé.
- Les écoles privées (principalement des écoles de commerce) seraient des « écoles refuge » pour la bourgeoisie (Bourdieu, 1989). Elles auraient accueilli, principalement, des groupes sociaux aux revenus élevés, souhaitant éviter l’université publique mais incapables de répondre aux exigences scolaires des écoles d’Etat les plus sélectives (Polytechnique, Science po,…).
- Cette hausse, relative et absolue, des effectifs du privé s’expliquerait par les soutiens financier et non financier des pouvoirs publics (Etat, collectivités locales, universités) à l’enseignement supérieur privé (Casta, 2015). Les soutiens financiers possibles sont des subventions aux établissements, des aides aux étudiants et étudiantes du privé pour les frais de vie courante, le logement, la santé auxquelles s’ajoutent le paiement par l’Etat des frais d’inscription et du salaire des étudiants et étudiantes en apprentissage.
Les soutiens non financiers possibles sont la « reconnaissance de l’établissement » par l’Etat, le « visa » de certifications d’établissement par le Ministère de l’enseignement supérieur, l’autorisation de délivrer le « grade de master » accordée (après avis de commissions nationales par le Ministère de l’enseignement supérieur), l’inscription sur le Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), tenu par le Ministère du travail et enfin les partenariats avec des universités publiques.
L’inscription de formations du privé sur Parcoursup, en 2018, et la réforme de l’apprentissage, mise en place en 2019 par le Ministère du travail, constituent un soutien supplémentaire au privé et seraient, à ce titre, une autre explication de la hausse relative et absolue des effectifs inscrits dans le privé. - L’arrivée de groupes financiers à but lucratif dans le secteur de l’enseignement supérieur pourrait contribuer, elle aussi, à expliquer cette hausse (Casta, 2015 ; Batsch, 2023). Depuis 2010, des dizaines d’établissements sont devenus la propriété de fonds d’investissement qui possèdent des propriétés dans des secteurs d’activité variés, dont fait partie l’enseignement supérieur. Le rachat d’écoles ou de groupes d’écoles permet à ces fonds de constituer des groupes avec de plus en plus d’étudiants et d’étudiantes et de réduire les coûts fixes par étudiant des établissements, par exemple, en mutualisant les locaux et les services de communication.
- Les stratégies de communication des établissements privés leur permettent d’attirer de plus en plus d’étudiants et d’étudiantes (Oller et alii, 2021). Sur les réseaux sociaux, dans les transports en commun et dans les salons étudiants, les écoles sont surreprésentées par rapport à leur poids réel dans les effectifs étudiants. Elles se présentent de plus comme plus « professionnalisantes » et plus « innovantes » que l’enseignement supérieur public. La promesse d’une vie étudiante épanouissante et d’un accès rapide à l’emploi après les études (ou même pendant avec l’alternance) sont au cœur de la communication offensive de ces écoles.
Une hausse portée par les écoles de commerce et les autres écoles
Les données officielles indiquent les domaines de formation qui ont porté cette hausse. Elles présentent des fragilités. Par exemple, jusqu’en 2012, seuls les effectifs des écoles de commerce, d’ingénieurs, des formations en lycées privés (BTS et CPGE) et des établissements privés de type universitaire sont précisément décomptés. Entre un tiers et la moitié des effectifs du privé ne sont pas rattachés à un domaine de formation précis. Autre fragilité, après 2012 cette fois-ci, les effectifs du privé connaissent en 2021 une hausse annuelle inédite de leurs effectifs liée selon le Ministère à une « amélioration du système de collecte ». Cela laisse à penser que les effectifs totaux dans les années 2010 sont sous-estimés.
Quoi qu’il en soit, ces données ne permettent pas de privilégier une explication par rapport aux autres et la hausse des effectifs reste à expliquer précisément en tenant compte des spécificités de chaque période. La croissance annuelle est forte dans les années 1980 : entre 15 et 25% entre 1977 et 1991. Elle est portée principalement par les écoles de commerce et les lycées privés. Les années 1990 semblent marquer une pause dans la croissance annuelle des effectifs puisque la croissance annuelle moyenne est autour des 1%. Dans les années 2000, la croissance annuelle de 4% à 5% retrouve une nouvelle vigueur alimentée essentiellement par les écoles de commerce et les écoles privées non rattachées à un domaine de formation précis. De 2010 à 2015, la hausse (sans doute sous-estimée, voir au-dessus) redevient modeste avec une croissance annuelle moyenne de 2% avec une baisse de près de 20% des effectifs dans les lycées privés. À partir de 2016, la croissance s’accélère autour de 5% en moyenne jusqu’au bond de 24% des effectifs en 2021. Les données indiquent que sur cette période, la croissance est particulièrement portée par les « autres écoles de spécialités diverses », catégorie officiellement apparue en 2012 dans les statistiques et qui a vu ses effectifs tripler en 2021 au moment de l’amélioration de la collecte. Les écoles de commerce sont les autres grandes bénéficiaires de cette période avec des effectifs qui ont augmenté de 75% environ.
Le renforcement spectaculaire des « autres écoles » et des écoles de commerce ne doit pas faire oublier que c’est l’ensemble des écoles privées (à l’exception des formations dispensées dans les lycées) qui a vu ses effectifs augmenter de 2016 à 2023, et ce, quel que soit le domaine de formation, ce qui confirme la bonne santé de tout le secteur privé et laisse à penser que cette croissance pourrait durer.
Références bibliographiques
Batsch L. (2023), L’enseignement supérieur privé en France, Fondapol, juin.
Bourdieu P. (1989), La Noblesse d’État. Grandes Écoles et esprit de corps, Éditions de Minuit
Levy D. (2024), A world of private higher education, Oxford University Press.